Types de rendus
Est-ce qu'un lieu qui accueille une tombe est un cimetière ? Les parents d'une copine vivent dans les Cévennes dans le département de la Lozère où il est possible d'être enterré-e chez soi à certaines conditions. Il faut faire une demande à la préfecture, certaines conditions doivent être respectées, un hydrologue doit attester du non danger de contamination de l'eau douce et une autorisation ne veut pas dire que l'on peut y mettre tout la famille. De plus, en cas de vente de la propriété, doit figurer le droit d'accès pour la famille. Si le père de cette copine souhaite être exhumé chez lui, sa mère n'est pas d'accord, elle préfère être enterrée là où il y a plus de monde.
Un-e renard-e est enterré-e à Utopiana. C'était un visiteur régulier et un jour, il a été retrouvé mort. On lui a fait une cérémonie et on l'a enseveli pour lui offrir "une mort digne". Beaucoup d'humain-es ne veulent pas être enseveli-es, peut-être aussi car contrairement à un-e renard-e, on est enseveli dans des cercueils, à 1m80 où la terre ne peut plus vraiment nous décomposer, cela rend un peu claustrophobique, seul-e dans un trou noir et stérile pour l'éternité. En même temps, beaucoup de personnes sont dégoutées à l'idée d'être mangées par des vers et par le concept de putréfaction du corps. C'est aussi assez sensuel d'être grignoté-e, servir de festin pour des milliers d'organismes. Devenir un met que l'on peut partager presque aussi largement que lors d'une pêche miraculeuse. La définition de mère nature.
Offrir une mort digne pour un-e renard-e, c'est lui donner un lieu de mort qui atteste pour nous les humains qu'on l'a respecté en tant qu'être à part entière. Un-e renard-e, habituellement, se fait manger au grand air. Je me souviens de ma soeur qui un jour m'a dit victorieuse qu'un-e pigeon-ne s'était fait shooté-e par une voiture devant elle et qu'elle s'était arrêtée pour déplacer l'oiseau au bord de la route. Mais tu l'as sauvé-e ? Non, c'était trop tard mais je l'ai fait pour sa dignité. Je n'y avais jamais pensé. Mais moi en tout cas en tant qu'humaine, savoir qu'un-e renard-e est enterré-e là, ça me réconforte. Les renard-es sont des animaux solitaires qui ont cette capacité à jouer avec d'autres espèces comme des chat-tes, de blaireaux, des chien-nes. Alors c'est assez cohérent de l'accueillir dans nos rituels.
Je ne sais pas si les personnes qui l'ont enterrées vont lui rendre visite, pas forcément. Peut-être auront-elles une pensée pour lui ou elle, en s'asseyant sur le banc tout près ou en allant voir le cerisier en fleur. Il y a beaucoup de gens qui ne vont pas au cimetière voir leurs proches, mais cela ne veut pas dire qu'il est pas nécessaire pour leur équilibre de savoir qu'elles y sont. Ce-tte renard-e, je sais qu'il ou elle est là, donc l'histoire de sa mort, sa sépulture fait partie de ma résidence. C'est un-e mort-e tout près. Nous cohabitons, ldépouille bientôt disparue et corps qui va durer encore quelques années. Nous sommes un mélange mort-vivant en connexion.
La maison actuelle d'Utopiana est aussi vouée à disparaître car elle fait partie de ces quartiers villas que l'on a décidé de supprimer pour densifier la ville. Les maisons individuelles en pleine ville ne sont pas dans l'air du temps ni à gauche, ni à droite. Sauf les maisons de maître et les maisons riches. Car là c'est du patrimoine. C'est un peu comme dans les cimetières, il y a les caveaux familiaux, les tombes en marbre, les croix en bois et le jardin du souvenir. En fonction de son statut social et de sa richesse, notre survie est assurée que l'on soit maison ou humain-e. La maison d'Utopiana, le ou la renard-e et moi, nous ne sommes pas du patrimoine.
Cette maison va disparaitre et où viendra-t-on la pleurer ? Elle n'aura pas sa place dans un cimetière. Elle n'aura pas de lieu de commémoration. Y aura-t-il un rituel de deuil ? Peut-on concevoir la tombe de la maison Utopiana, comme si l'association enterrait une compagne ? une amie? Nous pourrions lui donner un visage, lui acheter un cercueil simple et l'enterrer. Lors des démolitions, reconstructions, un cercueil serait déterré engendrant une atmosphère suspicieuse. Qui est cette Utopiana qui a été ensevelie ici ?
Est-ce que nos rituels funéraires ont comme objectif premier de ritualiser le deuil ou d'honorer les morts ? Y a-t-il un lieu entre les deux ? J'ai perdu mon ami Nicolas en début d'année et je crois que le processus de mise en terre du corps à participé à mon deuil, par contre, il n'a pas été suffisant et surtout le lieu, la cérémonie et la manière dont son corps a été enseveli ne sont pas à l'image de ce qu'il aurait pu souhaité pour lui-même, alors cela peut être considéré comme socialement honorant, mais est-ce que cela honore qui il a été ? Le problème est qu'il n'a pas donné de "directives anticipées". Il n'a pas explicité ce qu'il souhaitait et même s'il l'avait fait d'ailleurs, personne n'est obligé de suivre ses envies post-mortem.
La maison d'Utopiana tout comme le ou la renard-e ne peut pas donner de directives anticipées, mais elle mériterait d'être honorée pour tout ce qu'elle a apporté aux insectes, aux plantes, aux oiseaux, aux mammifères qui y ont vécu ou qui l'ont traversé. Il faudra faire un rituel de deuil, lorsque la maison devra être quittée pour nous assurer de la reconnaitre mais aussi pour pleurer tout ce qui n'est plus avec sa fin. Elle deviendra une Utopie selon les racines grecques du mot "non (un) lieu (topos)" . Elle sera passé d'une hétérotopie, un "lieu autre" à une utopie malgré elle. Car peut-être que dans quelques années, lorsque la nature ne sera plus, des personnes imagineront un lieu idéal qui ressemblera à la maison d'Utopiana. Une maison modeste mais accueillante, entourée de beaux arbres et d'une nature sauvage. Un endroit où l'on peut cultiver des légumes et se retrouver pour vivre ensemble en collectif, mais aussi en solitudes partagée. Pas un lieu de vie, mais un lieu de ralliement où il fait bon lire, bon réfléchir et bon fouiller dans la terre.







